La (résistible) victoire de la deuxième gauche…
À y bien regarder, l’élection d’Emmanuel Macron est (en partie) la victoire de la deuxième gauche.
Il suffirait pour s’en convaincre d’observer les positions prises à l’égard du nouveau pouvoir par les héritiers de celle-ci : au-delà de Manuel Valls, la liste est longue des ralliements, d’Alain Richard à François PATRIAT, de JP HUCHON à JP Mignard ou Marisol Touraine sans parler des intellectuels ou gens de média dévoués depuis toujours à la cause. Au-delà du médiocre opportunisme de certains, la rapidité avec laquelle les principaux lieutenants de F. Hollande – venus souvent du rocardisme reconverti en Strauss-khanisme – ont trouvé toutes les vertus à l’ancien ministre de l’Economie témoignent bien d’un climat de réelles connivences d’ailleurs bien antérieur à la Présidentielle.
Mais une approche plus argumentée conduit à la même conclusion.
Qu’est-ce que la deuxième gauche portée à l’origine par Michel Rocard et le Think tank qu’était alors la CFDT sinon l’idée que l’on ne fait pas de politique contre les réalités économiques ni contre la société ?
Ce qui l’amenait à récuser d’un même mouvement et le poids des idéologies, jugées aveuglantes, et celui de l’Etat, jugé impotent, au profit de la négociation sociale et de la solidarité européenne.
De ces préalables, la deuxième gauche déduisait ensuite la nécessité d’associer tous les « compétents » fussent-ils de bords différents, au nom d’une vision au fond plutôt technocratique, quasi-aristocratique, de la gestion du Pays.
Aussi a-t-elle toujours cherché à déborder les frontières politiques… en particulier pour se débarrasser des plus idéologues et des plus radicaux de son camp.
Et si Michel Rocard l’avait pu en 1988, son arrivée à Matignon se serait en conséquence accompagnée d’un accord en bonne et due forme avec des Centristes fatigués du caporalisme chiraquien.
N’est-ce pas cette ambition, moderniste, européenne, technique, que s’efforce aujourd’hui de concrétiser E. Macron ?… Sauf qu’il s’y emploie trente ans plus tard et dans un contexte radicalement différent.
La gauche dite radicale n’est plus en réalité que le résidu d’un keynesianisme tempéré. Se laisser tromper par le ton qu’elle emploie, c’est s’aveugler sur la réalité des politiques, en réalité bien modestes, qu’elle promeut. C’est dès lors se déporter beaucoup plus à droite que nécessaire.
Dans le même temps, le système, lui, s’est durci, entretenant, avec un chômage élevé et une précarité croissante, une instabilité permanente que l’hégémonie d’une finance sans règle et la crise climatique menacent à tout moment de transformer en un véritable chaos.
A mesure enfin que l’Europe semble s’éloigner de la promesse d’une prospérité équitable et partagée, l’affaiblissement programmé de l’Etat prive les plus fragiles des protections indispensables que les réformes à venir risquent de fissurer plus encore.
Du coup, l’alliance des compétents devient celle des Puissants et ne peut plus se faire qu’en assumant une rupture avec les catégories populaires déjà bien entamée que le nouveau pouvoir va tenter de compenser par un appel médiatique à l’opinion qui finira par trouver, comme à chaque fois, ses limites.
Il est d’ailleurs frappant d’observer combien cette nouvelle réalité s’impose déjà au pouvoir qui a renoncé dès le départ à sa préférence supposée pour le dialogue social (les ordonnances) faute de « grain à moudre. » Quelles contreparties offrir en effet aux syndicats si la priorité va à la réduction des déficits, à la baisse des « charges » et à la » libération des énergies entrepreneuriales »?
Quant à l’explosion des « vieux partis », loin d’ouvrir le champ à l’innovation démocratique et aux « nouvelles couches » qui pourraient la porter, elle semble devoir déboucher sur un schéma très classique : une hyper-concentration du pouvoir autour du Chef de l’Etat et l’hégémonie d’un mouvement, nouveau certes mais centralisé et contrôlé comme jamais ! Au point qu’il soit possible de prédire une progressive dérive autoritaire, seul moyen à terme pour ce pouvoir éloigné, par construction, du terrain et des mouvements sociaux, de juguler les inquiétudes et les résistances multiformes que va susciter cette politique de « modernisation » à marche forcée.
Ironie de cette histoire en train de s’écrire, le fondateur de la deuxième gauche lui-même ne s’y était pas trompé et avait bien perçu, lui, plus que ses prétendus héritiers, le changement d’époque dans lequel nous sommes entrés. Ainsi n’avait-il cessé dans les années qui précédèrent sa mort d’en appeler à une rupture dont ses livres et ses déclarations n’ont cessé de témoigner.
Aussi est-il probable que malgré la sympathie qu’il aurait éprouvé pour le nouveau Président, il n’aurait guère approuvé ses objectifs, trop limités, trop orthodoxes, et encore moins sa méthode.
Parce qu’il avait compris, lui, le réformiste, mieux que les orateurs professionnels du changement que, le temps des consensus mous étant passé, ni les élites actuelles, mobilisés autour de l’Elysée comme jamais, ni leur manière de penser, ni les Institutions ne permettraient de relever les défis qui viennent à nous.
Résistible, la victoire de cette deuxième gauche là risque donc d’être éphémère sauf si sur ses marges suffisamment de trublions l’obligent à revenir à son inspiration première : regarder la réalité en face ! Et ce que celle-ci nous apprendra alors c’est que le monde, comme notre société, s’est radicalisé et que ce ne sont pas des consensus qu’il va nous falloir gérer au nom de la compétence mais des rapports de force de plus en plus brutaux…..que seule la politique, celle qui mêle attachement aux principes et mobilisation des peuples, sera susceptible d’aplanir.
1 réflexion sur « La (résistible) victoire de la deuxième gauche… »
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tafanijp
C’est un point de vue intéressant qui se respecte!
Et si, de manière assez indépendante des anciens/traditionnels clivages nous mettions enfin la culture au centre du projet (cf FM et J Lang) de rénovation …notamment des centres des villes et des bourgs, ce qui est une question européenne majeure? L’évolution de l’emploi et par conséquent des revenus loin des villes de +100 000 (particulièrement dans les 3 régions limitrophes de votre circo 58 -CVL, BourgogneFC, Auvergne) ont entraîné un cycle auto-entretenu destructeur: augmentation de la fiscalité locale, baisse des prix du foncier -essentiellement bâti- Tant qu’une politique volontaire, et certaines exp à Cosne s/Loire le montrent, ne sera pas actée autour de la culture (les patrimoines hist, artistiques et naturels + la création) je doute que les FI et FN ne baissent dans l’opinion rurale …